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  • Ré-Ouverture du musée le 01 mai 2024

La bataille du Linge,
un enfer sur les hauteurs


Quand un paisible paysage devient un champ de bataille

Le Linge : Tombeau des chasseurs

La bataille du Linge s’est déroulée du 20 juillet au 16 octobre 1915. Un paisible paysage de montagne s’est alors mué en un champ de désolation chaotique. De ce lieu bucolique, les hommes ont fait un enfer, d’un intérêt stratégique minime sinon nul, où se sont brisés la vie, la chair, l’esprit de trop nombreux soldats français ou allemands, dont plus de 6 000 d’entre eux ne reverront jamais leurs familles.


Le Champ de Bataille

Le massif du Linge est constitué par un chainon montagneux parallèle à la crête principale des Vosges dont il est éloigné d’environ 6 km à vol d’oiseau. Son altitude moyenne varie entre 900 et 1100 m. Du nord au sud se succèdent le Lingekopf (qui domine le val d’Orbey), le collet du Linge (où passe le chemin reliant le col du Wettstein aux Trois Epis), le Schratzmännelé (Schratz comme le baptiseront les soldats français), la Courtine, le Barrenkopf et enfin le Kleinkopf (qui seul offre de très belles vues sur la vallée de Munster). Sa longueur est d’environ 3 km.

Le Linge et le Schratz ont des pentes boisées très escarpées couvertes par la forêt. Elles surplombent un val herbeux et très humide, point de départ des attaques françaises. La Courtine relie le Schratz au Barrenkopf ; la crête boisée est ici précédée d’une large zone de prairie à découvert en pente douce.

Les soldats français se trouvent dès le début dans une position extrêmement difficile en raison de ces conditions topographiques.


La situation du front avant la bataille

Dès les premiers jours d’août 1914, l’armée française était entrée dans la vallée de Munster, bousculant les troupes allemandes, peu nombreuses. Cependant, fin août, ordre fut donné aux unités françaises de se retirer vers la frontière sur la grande crête des Vosges. Une grande partie de l’armée d’Alsace sera alors transportée vers la Marne où elle participera à la bataille qui stoppera la progression allemande vers Paris.

Dans la vallée de la Fecht, le front très lâche se stabilisera plus ou moins avec des Français occupant les crêtes et des Allemands établis plus à l’Est dans la vallée. A la fin de 1914 et début 1915, Joffre souhaita toutefois reprendre l’offensive en Alsace. Il préconisait un grand mouvement en tenaille autour de la vallée de Munster en direction de Colmar combiné à une attaque en plaine depuis les positions occupées plus au sud par l’armée française. Il fut toutefois bousculé dans ses intentions par l’armée allemande.

En février 1915, l’armée allemande déclenchera en effet une violente offensive dans la vallée de la Fecht dans le but de repousser les unités françaises sur la frontière de 1914. Elle s’installera alors sur le chainon du Linge.

Plus au sud, la progression allemande dans la Haute Fecht menaçait les liaisons entre la 66ème Division (qui occupaient les hauteurs dominant la vallée de St Amarin) et la 47ème Division qui était en charge de la partie du front dominant la vallée de Munster jusqu’au col du Bonhomme. Compte tenu de cette situation, les deux divisions françaises passèrent conjointement à l’offensive au printemps 1915 ; elles obligèrent les unités allemandes à se retirer de leurs positions pour finalement, après de très durs combats, conquérir Metzeral en juin 1915. Joffre persistait cependant dans son idée d’une prise de Munster par le Linge.


La bataille

Les prémices

Compte tenu de la situation du champ de bataille, l’armée française dût surmonter de très grosses difficultés logistiques. Partant de rien, il lui fallut construire routes, camps, ambulances, postes de secours, transporter à dos de mulets munitions et approvisionnements, installer artillerie lourde et légère, construire emplacements de batteries, abris et autres installations nécessaires, enfin acheminer les combattants, tout cela à la vue de l’ennemi allemand.

Devant de tels préparatifs, celui-ci ne restera pas sans réagir et se préparera à l’assaut à venir. Profitant de l’abri de la forêt, d’une excellente logistique (notamment d’un train à voie étroite depuis les Trois Epis) et de la proximité de la plaine d’Alsace, les troupes allemandes établirent de solides défenses. Tranchées, abris et boyaux de liaison furent installés sur la montagne, des fortifications construites, casemates et nids de mitrailleuses aménagés, des champs de barbelés déroulés le long des pentes abruptes entre arbres, rochers, ronces et autres chevaux de frise. Ces défenses ajoutaient à la complexité de la bataille pour les forces françaises et accentuaient encore davantage leur désavantage initial sur le terrain.

Les forces en présence

Du côté français, la responsabilité de l’attaque fut confiée à la 129ème Division d’Infanterie, commandée par le Général Nollet. Cette division nouvellement créée comprenait une brigade d’infanterie et la 5ème Brigade de Chasseurs formée essentiellement de jeunes recrues de la classe 1915 dont nombre n’avait jamais connu le feu. La 129ème Division fut renforcée par la 3ème Brigade de Chasseurs Alpins, composée quant à elle de vétérans aguerris par de longs combats dans les Hautes Vosges et en Lorraine, détachée pour l’occasion de la 47ème Division. L’artillerie comprenait des canons de 220 (installés à contrepente de la grande crête des Vosges), 155, 120, 75 et 65 établis en batteries sur les flancs de la grande crête faisant face au chaînon du Linge.

Le front du Linge était couvert du côté allemand par des unités de la 6ème Division de Landwehr bavaroise (1er et 2ème Régiment d’Infanterie) laquelle appartenait au détachement d’armée de Haute Alsace commandé par le Général Gaede. Elles seront renforcées au cours de la bataille par diverses unités, le Garde Jäger Bataillon, le 14ème Jäger Bataillon du Mecklembourg, les 73ème et 78ème Régiments d’infanterie de réserve, 187ème et 188ème Régiment d’Infanterie. L’artillerie lourde et de campagne allemande était pour l’essentiel dissimulée sur la crête du Rain des Chênes, en arrière du chaînon du Linge.

Carte Georges Brun / crdp Strasbourg 
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Le Déroulement de la Bataille

Les attaques françaises

Après avoir été reportée à plusieurs reprises, l’offensive française est déclenchée le 20 juillet 1915 par les bataillons de la 3ème Brigade de Chasseurs. Le plan d’attaque prévoyait une attaque par les flancs, sur le Linge à gauche et le Barrenkopf à droite, puis au centre par la Courtine et le Schratz. Mais le bombardement de destruction de l’artillerie française fut d’une efficacité très limitée, les défenses allemandes cachées par la forêt restant quasiment intactes. L’attaque lancée à 14 H fut un échec ; pris sous un déluge de feu, les chasseurs alpins se heurtèrent à un mur d’acier ; malgré leur farouche détermination et leur immense et incroyable courage, ils n’eurent d’autre ressource que de se protéger au mieux jusqu’à la nuit tombée. Le soir venu, de retour sur leurs lignes de départ, les unités d’élites françaises avaient perdu en quelques heures de combat plus du tiers de leur effectif, souvent beaucoup plus !

Le 22 juillet, les jeunes unités de la 5ème Brigade de Chasseurs sont, à leur tour, lancées dans la fournaise. Elles en reviennent totalement décimées. Les attaques françaises se poursuivront obstinément tout au long des jours suivants, ne permettant sur le terrain qu’une progression bien faible pour des pertes toujours plus importantes. Les unités françaises atteignent au final la première ligne de tranchée allemande, située sur la crête mais leurs positions sont précaires et constamment sous le feu ennemi. Elles n’iront pas plus loin.

Des deux cotés, les hommes souffrent de l’horreur des combats mais aussi de la faim, de la soif, de la peur face à la mort qui menace constamment.

Attaques et contrattaques se succèdent férocement, la petite carrière située sur le Schratz est ainsi prise et perdue successivement par les deux armées. Les soldats des deux camps sont à quelques mètres les uns des autres, les combats à la grenade et à la baïonnette font couler des flots de sang. Les pertes en hommes sont considérables, la situation des survivants est misérable, l’horreur absolue. Au fil des combats, le champ de bataille se transforme en un chaos d’arbres, de pierres et rochers fracassés par l’artillerie, une terre bouleversée par les trous d’obus et empoisonnée à tout jamais, un méli-mélo de tranchées détruites, d’abris effondrés, de ferraille explosée et détruite, un champ d’horreur parsemé d’innombrables cadavres en décomposition et de blessés français ou allemands attendant en vain d’improbables secours, malgré le très grand courage et dévouement des soignants.

Le 28 juillet, Joffre décide d’en rester là et ordonne le retrait de la 129ème Division (qui sera effectif à compter du 20 août 1915) et de la majeure partie de l’artillerie (lourde et de campagne), laissant peser sur la 47ème Division, déjà très éprouvée, tout le poids de la bataille.

Les controffensives allemandes

Les 3 et 4 août, les allemands déclenchent un intense bombardement d’artillerie. On estime que plus de 40 000 obus se seraient alors abattus sur les lignes françaises. Les contrattaques se succèdent au cours du mois d’août, les unités françaises résistent courageusement.

Le 31 août un terrible bombardement allemand s’abat à nouveau sur les lignes françaises. Tout au long du mois de septembre, les attaques allemandes se renouvellent. Pour la première fois sur le front d’Alsace, l’armée allemande fait usage de gaz lacrymogènes et de lance-flammes.

L’horreur du champ de bataille devient totale. La 47ème Division, restée seule sur le terrain et privée de la majeure partie de l’artillerie, perd plus d’un millier d’hommes dans ces combats. Petit à petit, les unités françaises sont obligées de se retirer. Le 16 octobre a lieu le dernier assaut allemand d’envergure difficilement repoussé. Les lignes se figeront alors définitivement dans un semblant de calme trompeur, les unités épuisées des deux armées retrouvant leurs positions initiales.

De la fin de la bataille à l’armistice

Après octobre 1915, les bataillons de chasseurs sont progressivement retirés des Vosges et sont remplacés par des unités d’infanterie de ligne mis au repos sur un front vosgien devenu secondaire. Des unités de tirailleurs indochinois et des unités de l’armée américaine y seront même affectées. Les deux camps s’enterrent et les allemands transforment leurs lignes en forteresse inexpugnable qu’ils baptisent « Fort Lingekopf ».

Mais jusqu’à la fin de la guerre, le Linge restera un point de friction redouté par les combattants des deux armées. Coups de mains, échanges de grenades, tirs de mitrailleuses et bombardements d’artillerie se succèdent quotidiennement. En moyenne, cinq hommes y trouveront la mort chacun des jours qui s’écouleront jusqu’à la fin de la guerre. Le front s’endort mais d’un sommeil aussi agité que sanglant.


Le Linge, une tragédie humaine

La bataille du Linge, d’un intérêt stratégique nul, fut une véritable tragédie humaine marquée par le courage, l’acharnement, l’abnégation, et le sacrifice des soldats français et allemands. Elle témoigne de la brutalité et de la difficulté des combats de la Première Guerre mondiale où des milliers de vies ont été gaspillées pour des avancées territoriales souvent minimes.

Le bilan humain est en effet bien lourd. Du coté français, environ 3 600 hommes sont morts et environ 8 500 furent blessés. Pour les Allemands, on estime que les pertes s’élèvent à environ 8 500 hommes dont quelques 2 500 morts et 6 000 blessés (ces chiffres sont incertains en raison de la destruction des archives militaires allemandes en 1944-45). Un millier de combattants des deux camps ont été portés disparus au cours des trois mois de bataille intensive et plusieurs centaines d’entre eux reposent aujourd’hui encore cote à cote dans la terre de ce champ dit d’honneur, qui est un cimetière à ciel ouvert.

Le Linge fut effectivement « le tombeau des chasseurs » comme l’avait surnommé les soldats allemands, mais il fut aussi celui de leurs ennemis d’alors.

Aujourd’hui, le site de la bataille du Linge est un lieu de mémoire où sont conservés les vestiges des tranchées et des fortifications édifiées par la folie des hommes. Qu’il puisse rappeler au passant le courage, la souffrance, les sacrifices et le souvenir des soldats français et allemands qui y ont vécu, qui y ont combattu, qui y ont perdu leur santé ou leur vie. Ils méritent tous ensemble notre plus immense respect et considération.